Jean Hatzfeld, Une saison de machettes, Seuil
2020612143
Rwanda : 800 000 Tutsis tués en 12 semaines.
Avec "Dans le nu de la vie, Récits des marais rwandais", l'auteur donnait la parole aux rescapés Tutsis, ceux qui avaient assisté et survécu aux massacres organisés par les Hutus. Ici, il donne la parole aux tueurs, pour savoir "ce qui s'est passé dans leurs têtes" et essayer de comprendre les mécanismes d'un génocide.
Dire que le livre est impressionnant est au-dessous de la vérité : la banalité des mots pour revendiquer l'horreur des massacres cloue littéralement sur place. On reçoit en plein coeur l'évocation de scènes insoutenables dites par des hommes ordinaires, aveugles au choquant de leurs propos.
"Nous avons chanté des cantiques en bonne entente avec les Tutsis, nos voix s'entremêlaient encore en choeur. Le dimanche matin, nous sommes revenus pour lamesse à l'heure dite ; eux ne sont pas arrivés. Ils s'étaient déja enfuis dans les brousses de peur des représailles. Ils avaient poussé devant eux leurs vaches et leurs chèvres. Cà nous a grandement frustrés, surtout un dimanche. La colère nous a poussés à la porte de l'eglise. Nous avons laissé le Seigneur et nos prières à l'intérieur, pour rebrousser chemin vers nos maisons à grands pas. Nous avons échangé nos vêtments endimanchés contre les vêtements des champs, nous avons saisi des machettes et des massues. nous sommes partis directement en tuerie."
On fait ainsi connaissance avec une bande de copains transformés en exterminateurs. L'hostilité d'agriculteurs contre des éleveurs de bétail, une propagande officielle délétère, l'impunité de crimes perpétrés progressivement, deviennent des facteurs décisifs pour déclencher un bain de sang, programmé par une clique d'intellectuels au pouvoir. Un bon encadrement pour les expéditions où chacun doit participer, dans une ambiance de fête et/ou de travail à accomplir, et on passe du crime de guerre au génocide.
La parole même des tueurs est horrible, mais l'auteur n'en fait pas des sauvages. Le génocide ruandais est à une petite échelle, de type rural, ce que fut sur la terre des philosophes allemands un génocide urbain et industriel.
Comment parler de pardon ?
"comment vivent ces communautés hutues et tutsies que le destin oblige à cohabiter ?"
Mille questions se posent, et plus que toutes, cette interrogation sur l'homme et sa faculté de commettre le pire.