Dans Les Essais s'affirment une pensée de la vie et une pensée de l'action, servies par de formidables convictions et non quelque « molle prudence ».
Montaigne nous invite à nous appliquer à chaque chose: «Quand je danse, je danse; quand je dors, je dors...», écrit-il dans un passage célèbre. Etre tout dans l'instant, apprendre à ne pas se dissiper, «vivre à propos», tel est le meilleur moyen de ne pas se laisser pousser par le passé ou aspirer par le futur, de ne se laisser déborder ni par le remords ni par l'espoir. C'est en suivant l'«occasion favorable» qu'on se libère du temps - ce tyran implacable - et qu'on accède à la sérénité. Etre à la hauteur des circonstances pour être l'auteur de sa vie.
En effet, la sérénité - et non la vérité - est le but qu'il faut poursuivre: ce qui nous perd et nous tourmente, c'est notre volonté de tout savoir, de croire qu'un problème possède toujours une solution.
Le mode de vie proposé par Montaigne conduit ainsi à exclure tout système, à récuser tout dogme: plutôt que d'accepter ou de rejeter en bloc telle ou telle philosophie ( Montaigne parle de « sectes » ), puisons en elles les ingrédients qui nous permettront de mieux vivre. Penser, c'est vagabonder d'une philosophie à l'autre et non adopter un point de vue ou réciter une leçon.
Montaigne nous dit, lorsque tout conspire pour nous détourner de notre vie intérieure, de ne pas nous laisser impressionner par la pression colossale à laquelle nous sommes soumis de toutes parts: «Tout s'allie pour nous distraire quand nous devrions être les patients dans notre propre clinique, aussi bien comme chirurgien que comme cadavre nous livrant à notre propre dissection.» Ce que Montaigne nous invite à faire? Renoncer à croire et à espérer pour mieux aimer et mieux vivre. Mais que signifie donc ce conseil, sinon développer ce que l'on appelle si vulgairement de nos jours le « souci de soi » ?